vendredi 14 novembre 2008

Insondable Wittkop...

Gabrielle WITTKOP, est née à Nantes le 27 mai 1920 et décédée le 22 décembre 2002 à Francfort-sur-le-Main. Elle est l'auteure d'une littérature dérangeante, macabre, bien souvent au-delà de toute morale. Son style riche et remarquable, ainsi que ses centres d'intérêt, font d'elle la digne héritière du Marquis de Sade, de Villiers de l'Isle Adam, de Lautréamont, d' Edgar Allan Poe, mais aussi de Marcel Schwob. (source : Wikipédia)

Gabrielle WITTKOP – Sérénissime assassinat
Roman
Points, 2001, 122 pages

Venise, janvier 1796.
« − Ne peut-on lire sans être dérangé à tout bout de champ ?
Debout devant lui, la Rosetta tortille son tablier :
− C'est que Signor... votre femme est morte...
− Encore ?! »
L'histoire d'Alvise Lanzi nous entraîne dans la Venise du siècle des Lumières, une ville de miroirs et de labyrinthes. Comme un reflet dans un miroir d'eau, c'est une ambiance trouble qui règne dans la maison Lanzi. Pour la quatrième fois en trente ans, Alvise est catapulté dans l'état de veuvage...
« Cachez ces taches. Elle a terriblement souffert. »
Quatre épouses mortes dans de mystérieuses circonstances et d'atroces convulsions.
« On ne peut décemment pas lui laisser le visage découvert. »
Cet enchaînement suscite bien des murmures et des interrogations.
« N'oublions jamais les leçons de l'Antiquité, si bien versée dans la science des herbes. »
On soupçonne l'entourage d'Alvise, puis Alvise lui-même...

Gabrielle Wittkop définit Sérénissime assassinat comme « roman-mystérieux », qui demeure inexplicable jusqu'à sa fin rationnelle. Au delà de la recherche du coupable, l'intérêt du récit se trouve dans l'excellente restitution d'une ambiance fantasque et dangereuse, le style baroque et raffiné de l'auteure aidant. Voilà pour la forme, pleine d'esthétisme, mais d'une beauté vénéneuse.
Et c'est là qu'on aborde le fond... mais nous naviguons en eaux troubles avec cette auteure ! Au cours de mes humbles recherches sur cette dame, j'ai souvent croisé les termes de « divine Wittkop ». Intriguant ! lorsqu'on a soi-même ressenti tout au long d'une lecture, le souffle d'une extrême arrogance ! L'auteure se présente au début du récit sous le couvert du « joueur de bunraku faisant agir ses marionnettes ». Ce qui est compatible avec le mépris dont elle fait preuve envers ses personnages ; le pire étant lorsque le personnage s'avère être un enfant. Mais elle revient à plusieurs reprises sur cet état de chose comme pour mieux avérer sa toute-puissance. Toute personne se fait démiurge de l'imaginaire lorsqu'elle crée un univers et ses personnages mais l'auteur a souvent la subtilité de se faire le plus petit possible pour mieux laisser évoluer cette création. Or dans ce livre, la présence de Gabrielle Wittkop est trop lourde. D'ailleurs, puisque nous sommes entraînés dans la ville des miroirs, ne peut-on remarquer comme son visage est partout présent ? Je l'ai vu en Ottavia Lanzi, le personnage, soit-dit en passant, le moins maltraité de l'histoire. Un passage fait écho aux différentes informations piochées çà et là sur l'auteure : « Elle [Ottavia Lanzi] dirige sa pensée dans l'esprit des Lumières mais fort à l'encontre de ce qu'il y a en elle de sombre, de chtonien, d'archaïque, de toutes ses ivresses de vieille pythie. »
Sans surprise, l'écriture de Wittkop se fait perverse jusqu'au bout des lettres. Plane une sombre délectation pour la souffrance de l'autre considéré comme objet de jeux malsains. L'aversion totale de l'auteure pour les enfants est clairement exprimée dans certains passages. Alors, pendant que d'autres la considèrent comme « divine », moi je me demande comment peut-on autant détester les enfants lorsqu'on l'a été soi-même (c'est inévitable). Mais elle se plaît à dire dans une interview à propos de son enfance et des enfants de son âge : « Ils étaient bêtes, inférieurs à moi. Moi, j'étais déjà une adulte, comprenez-vous. J'ai toujours été une adulte. » Un bel esprit certes, érudit et inventif, mais un peu à côté de la réalité.
J'introduis plusieurs éléments concernant l'auteure car il est difficile de ne pas s'interroger et chercher à mieux comprendre une écriture si pleine de perversité.

Pour conclure, Sérénissime assassinat reste une lecture intéressante pour son « originalité » de forme : l'ambiance sombre et pesante, l'écriture raffinée et poétique. Mais une profondeur qui gravite autour d'un nombril : noirceur de l'âme, perversité, extrême arrogance... Narcisse dispose et se contemple dans les différents miroirs de cette histoire et on s'en lasse. A ce niveau, rien de nouveau sous le soleil.